vineri, 6 martie 2015

Denis DIDEROT - Jacques le Fataliste et son maître

Deux personnages, un valet et son maître, chevauchent plus ou moins paisiblement sur des routes, vers une destination qui restera inconnue, s'arrêtent dans des auberges, devisent à bâtons rompus : questions philosophiques, souvenirs intimes, anecdotes... Au fil de leur voyage, d'autres individus de rencontre y vont aussi de leurs récits, et voilà que s'ouvrent de nouveaux tiroirs, qui multiplient les niveaux temporels et les registres, ou confondent allégrement la réalité et la fiction.
Dès l'incipit du roman, le ton est donné : avec arrogance, le narrateur affirme sa liberté de démiurge et s'emploie à saper les fondements mêmes de l'illusion romanesque. Nous comprenons que nous avons affaire à un jeu neuf qui échappe ironiquement à la classification des genres : c'est à la fois un roman à la ligne picaresque et une gerbe de récits allant de la nouvelle au conte, qui peuvent s'amenuiser jusqu'à l'anecdote ou le bon mot, truffée d'une série d'essais de morale ou d'esthétique, où le génie de Diderot s'exerce au sermon, à l'oraison funèbre, à la fable, au portrait, à la dissertation. Mais si nous devons accepter dès le départ cette construction binaire du roman et des récits adjoints, ces deux mouvements ne sont pas inconciliables pour autant : les récits se rattachent plus ou moins au noyau central par un personnage, un thème récurrent ou un simple écho.
L'originalité deJacques le Fatalistetient, nous l'avons dit, au statut du narrateur. Bien loin, comme il le devrait, d'entretenir l'illusion romanesque, celui-ci ne cesse de révéler sa présence. Ses commentaires peuvent prendre la forme de remarques évasives ou de jugements sur ses personnages, mais on peut plus fréquemment y distinguer deux sujets essentiels :
 C'est d'abordle fatalisme, qui donne son surnom à Jacques et constitue pour les philosophes des Lumières, et pour Diderot en particulier, une interrogation permanente (c'est aussi le sujet duCandidede Voltaire). « Tout est écrit là-haut »,  « chaque balle a son billet », « le grand rouleau où tout est écrit » : les expressions ne manquent pas pour exprimer la conviction de Jacques, qu'on appellerait plus justement aujourd'hui le déterminisme.
Le fatalisme est un système qui affirme une nécessité fatale (fatum), devant laquelle les décisions et les actions des hommes sont inopérantes. Dans la langue philosophique, cette résignation au destin peut, comme chez les Stoïciens, prendre la forme d'un consentement actif aux volontés divines, mais dans son acception usuelle, le mot désigne plutôt une soumission paresseuse. C'est plutôt de déterminisme qu'il faudrait parler dans le cas de Jacques, adepte lointain, via son capitaine, des théories de Spinoza.

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